Portrait de territoire : Dunkerque 6/9
A Dunkerque, la démesure fait partie de la culture locale. Elle s’exprime dans les paysages, le gigantisme des constructions, la manière de faire la fête mais aussi dans les superlatifs et les performances revendiquées.
Le sens de la démesure
En harmonie avec l’échelle géante de l’horizontalité du territoire, et comme en réaction à sa platitude, les hommes ont répondu par le gigantisme de leurs réalisations. Cette démesure dans bien des domaines est vécue positivement par les habitants, comme une démonstration de leurs capacités et de leur puissance de travail : « Ici, ce qui est grand, solide, ça plaît ».
Plages immenses
Dans la zone littorale, tout apparaît effectivement hors d’échelle humaine, en particulier le paysage industriel qui recrée sa propre échelle monumentale. Citons les plages immenses (15 km à l’est du littoral dunkerquois), l’estran d’un bon kilomètre à Gravelines, le débit du canal de la centrale nucléaire équivalent au débit moyen de la Seine à Paris, les espaces et l’architecture de l’industrie et du port (une zone portuaire de 7.000 ha, des porte-conteneurs géants), le Trois-mâts Duchesse Anne, l’échelle des bateaux dans l’architecture plutôt basse de la ville de Dunkerque, les silos à céréales, le bassin minéralier de 5,5 km, le gazoduc de 830 km de long qui arrive de Norvège, la longueur des digues et des quais, les travaux pharaoniques et notamment la construction du "monstre sidérurgique" Usinor : 15.000.000 m³ de sable déplacés, une superficie de 450 ha dont 85 ha gagnés sur la mer, un sol naturel surélevé de 9 m, 450.000 tonnes de béton et 150.000 tonnes de poutrelles d’acier utilisées, une main d’œuvre abondante, jusqu’à 11.000 salariés dans les années 70...
Voilà sans doute pourquoi l’on accole, avec la plus grande récurrence, l’adjectif « grand » à Dunkerque : « l’association pour le grand Dunkerque », « faire la ville à côté du grand port » puis « Dunkerque Grand littoral », « Dunkerque les grands horizons »… Plus récemment, le nouveau quartier de Dunkerque a été baptisé « Grand Large » !
Reuze Papa
L’ensemble du territoire est marqué par la culture des Géants. A Cassel, par exemple, Reuze Papa et Reuze Maman mesurent respectivement 6,25 m et 5,85 m. Et comment ne pas remarquer, pendant le carnaval, l’énergie, la durée et la façon de boire… démesurée ?
Toute chose étant relative, il s’est inventé ici un glossaire géographique hyperbolique. Ainsi, les monts deviennent la « Cordillère des Flandres » (lu sur le site du centre départemental du tourisme), la colline devient montagne (« la montagne de Watten culmine à 72 m d’altitude »), les plans d’eau artificiels deviennent lacs (18 ha d’Armbouts-Cappel ; 11 ha des Moëres ; 4 ha des Hérons ; 9 ha du Petit Denna ; 2 ha du lac bleu de Watten…).
Vive les superlatifs !
Encore plus frappant, dans le vocabulaire courant dunkerquois, le superlatif paraît d’un usage commun. Ne qualifie-t-on pas Sportica de « plus grand complexe sportif couvert au nord de Paris » ? N’affirme-t-on pas fièrement posséder les plus gros silos à céréales de France ? Que Bray-Dunes est la commune la plus septentrionale ? Gravelines, la centrale nucléaire « la plus puissante d’Europe » ? La CUD, « la première communauté urbaine volontaire de France » ? Et puis Dunkerque a bien été élue ville la plus sportive de France ! Quant à la drague D’Artagnan, « la plus grosse du monde », elle est tout de même immatriculée à Dunkerque !
L’interprétation de ce phénomène n’est pas tranchée. Le superlatif sonne comme une preuve d’amour des habitants pour leur territoire, sans aucun doute possible. Mais il donne aussi l’étrange impression d’un territoire cherchant à se rassurer…
Quelle est la véritable personnalité de la région Flandre-Dunkerque ?
Pour le savoir, l’agence d’urbanisme de Dunkerque (AGUR) a mené une grande étude en 2006. Tous les documents, articles et livres mentionnant le territoire ont été compulsés. Un groupe ressource d’experts locaux a été créé. Des enquêtes ont été menées auprès d’habitants et de visiteurs (plus de 300 au total). Au final, un rapport de 400 pages croisant tous ces regards a été rédigé. Dix traits de caractère, tant physiques que psychologiques, ont finalement émergé, comme pour une personne de chair et de sang.
Presque 10 ans après, force est de constater que ce portrait de territoire n’a pas été utilisé par les différents acteurs du Dunkerquois (élus, professionnels du tourisme ou de l’économie de l’époque).
Mais il n’est pas trop tard ! L’expérience actuellement menée dans les villes autour du Louvre-Lens le démontre : un portrait de territoire est un outil précieux d’aide à la décision. Il contribue à donner du sens à des produits économiques, touristiques ou culturels ; à construire des événements en adéquation avec les spécificités physiques et culturelles du territoire ; à déterminer des stratégies de développement...