Portrait de territoire : Dunkerque 5/9
« Que d’eau ! Que d’eau ! », est-on tenté de s’exclamer en découvrant les liens étroits qui unissent le Dunkerquois et l’élément liquide. Et pourtant… la relation des habitants à cette eau, partout omniprésente, s’avère des plus ambivalentes : une sorte de « Je t’aime, moi non plus ».
Un rapport à l'eau ambigu
Etant si bien parvenus à arracher la terre à l’eau, grâce au système des wateringues, les habitants du Dunkerquois en sont venus à oublier le passé d’insalubrité marécageuse de leur territoire et le risque d’inondation, bien qu’il soit toujours présent. Il faut dire que l’eau ainsi évacuée n’est pas toujours visible car elle transite dans des tuyaux en sous-sol. Cela est particulièrement flagrant dans les Moëres. Quant au réseau de canaux qui traverse la plaine maritime, il semble que seule sa fonction utilitaire – assurer la survie du territoire gagné – compte vraiment. Car si autrefois, les canaux ont rempli des fonctions défensives – autour des villes fortifiées – et contribué au développement de l’économie régionale grâce au transport des marchandises, aujourd’hui, la culture de l’eau et des canaux n’est plus vivace ni même porteuse de valeurs positives.
" Faire une digue "
La mer n’est pas mieux lotie : si son écho se fait entendre jusqu’en Flandre intérieure par la luminosité particulière qu’elle engendre, les habitants ne l’évoquent pas spontanément pour décrire le territoire. En revanche, elle figure parmi les trois premiers mots clés cités par les visiteurs, pour lesquels « Dunkerque ne serait plus Dunkerque sans la mer ». Il est vrai que la mer est occultée par les installations industrielles sur la moitié du littoral (17 km). Et que l’horizontalité et la frontalité architecturale de la digue de Malo ne contribuent pas à sa visibilité. D’ailleurs dans le vocabulaire quotidien, les Dunkerquois ne vont pas à la mer, ils vont « faire une digue » ou se rendent à la plage.
Break au Braek
Pourtant, nombreux sont ceux à goûter les lieux pour se ressourcer dans les couleurs fondues, la douceur des gris et l’espace de liberté que représente la mer. Pour les habitants, toujours plus ou moins dans l’action, le littoral est donc le lieu quasiment unique de passage de l’activité à l’inactivité, à l’imaginaire, à la rêverie, voire la méditation. Dans ce registre-là, ils ont noué une relation privilégiée avec la digue du Braek, malgré les panneaux d’interdiction ! La proximité du Braek avec le site sidérurgique, exprime, paradoxalement, un besoin vital en espace de liberté.
Plus terriens que marins ?
Les habitants seraient aussi davantage des terriens que des marins. « Beaucoup de gens ne sont jamais montés sur un bateau, c’est la grande différence avec la Hollande proche où n’importe quel Hollandais est né avec une barque ! », témoigne un Dunkerquois. Ajoutons que la population immigrée appelée par Usinor n’avait souvent aucun rapport culturel ou affectif avec la mer.
Au final, le petit cercle d’amoureux de la mer, de « voileux », s’avère donc restreint. Dans les esprits, la mer est étroitement associée au port, et donc, à l’outil industriel.
Bande des pêcheurs
Qu’en est-il de la pêche ? Au début de la décennie 1840, la principale activité économique, avec le trafic du port, est la pêche à la morue. Aujourd’hui la pêche se situe davantage dans le domaine du symbolique : si elle est présente dans le carnaval avec les « bandes de pêcheurs » et le jeté de harengs, il n’en subsiste guère de trace physique, hormis les aubettes, dans le centre-ville de Dunkerque. Peut-être l’avez-vous d’ailleurs remarqué : les restaurants de poissons sont ici bien moins nombreux que sur d’autres littoraux.
Quelle est la véritable personnalité de la région Flandre-Dunkerque ?
Pour le savoir, l’agence d’urbanisme de Dunkerque (AGUR) a mené une grande étude en 2006. Tous les documents, articles et livres mentionnant le territoire ont été compulsés. Un groupe ressource d’experts locaux a été créé. Des enquêtes ont été menées auprès d’habitants et de visiteurs (plus de 300 au total). Au final, un rapport de 400 pages croisant tous ces regards a été rédigé. Dix traits de caractère, tant physiques que psychologiques, ont finalement émergé, comme pour une personne de chair et de sang.
Presque 10 ans après, force est de constater que ce portrait de territoire n’a pas été utilisé par les différents acteurs du Dunkerquois (élus, professionnels du tourisme ou de l’économie de l’époque).
Mais il n’est pas trop tard ! L’expérience actuellement menée dans les villes autour du Louvre-Lens le démontre : un portrait de territoire est un outil précieux d’aide à la décision. Il contribue à donner du sens à des produits économiques, touristiques ou culturels ; à construire des événements en adéquation avec les spécificités physiques et culturelles du territoire ; à déterminer des stratégies de développement...