Villes dissidentes : et pourquoi pas en France ?
La politique sans concession de Donald Trump à l’égard des immigrés suscite l’émergence de mouvements de contestations puissants dans de nombreuses villes américaines. Ce phénomène de « villes dissidentes », étudié par le chercheur Nicolas Maisetti, n’est pas nouveau aux Etats-Unis. Il est cependant beaucoup plus rare en France où peu de territoires jouent la carte de l’opposition frontale à l’Etat. Dans un contexte de baisse des dotations publiques aux collectivités locales, la donne pourrait-elle changer ?
« Une ville dissidente, c’est un territoire qui mène des initiatives diplomatiques en opposition à celles décidées par l’Etat central, c’est un phénomène courant aux Etats-Unis », explique Nicolas Maisetti. Ce chercheur en science politique au LATTS a consacré une étude au sujet – un travail récemment publié par le PUCA dans sa collection Réflexions en partage.
Nucléaire, Aparteid et réfugiés
« Dans les années 80 déjà, des villes, des comtés ou des Etats avaient manifesté leur désaccord avec le gouvernement central américain dans divers domaines », relate le chercheur.
Certaines villes s’étaient par exemple déclarées nuclear free zone, interdisant l’implantation d’industries nucléaires ou encore la circulation de convois de produits liés à cette industrie sur leur sol.
Baltimore avait, elle, clairement affiché sa désapprobation avec la politique complaisante de Ronald Reagan à l’égard du régime d’Aparteid d’Afrique du Sud en adoptant, en conseil municipal, des ordonnances contraignant les entreprises locales à cesser toutes relations d’affaires avec et dans ce pays.
Alors que le gouvernement Reagan, dans le cadre de la lutte anti-communiste, refusait le statut de réfugiés politiques aux émigrés d’Amérique centrale, plusieurs villes américaines s’étaient déclarées « villes sanctuaires », signifiant leur volonté d’accueillir et de protéger les émigrés en provenance du Salvador, du Nicaragua ou du Guatemala.
Villes sanctuaires anti Trump
« Début 2017, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir – durant la première semaine de son entrée en fonction, le président a signé une longue série de décrets anti-immigration ! – a réactivé avec force ce mouvement des villes sanctuaires. »
San Francisco, Los Angeles, Seattle, Washington DC, New York, Boston, Détroit et Chicago ont considéré cette politique comme contraire aux valeurs fondatrices mêmes des Etats-Unis d’Amérique. C’est pourquoi elles ont pris des mesures de protection des migrants, en refusant, par exemple, de collaborer sur le sujet avec la police fédérale. En guise de rétorsion, l’Etat fédéral américain a plusieurs fois menacé de suspendre les aides financières accordées à ces villes mais aussi aux comtés ou Etats récalcitrants. La cour fédérale de San Francisco a rendu un jugement qualifiant d’illégale cette menace de retrait des financements fédéraux.
« L’opposition politique partisane et les valeurs fondatrices bafouées ne sont pas les seuls registres de cette lutte », précise Nicolas Maisetti. « Les territoires qui se déclarent sanctuaires développent aussi l’argument de la participation des migrants au développement économique du pays, de par les emplois qu’ils occupent dans la restauration et dans l’agriculture notamment. »
Hashtag LondonIsOpen
« En Europe, Londres incarne actuellement un bel exemple de dissidence par rapport au Brexit. » Elu trois semaines avant le référendum du Brexit, le nouveau maire de la ville, Sadiq Khan, n’a eu de cesse d’afficher, à coups de #LondonIsOpen, l’ouverture de sa ville aux touristes, aux travailleurs européens et investisseurs étrangers.
« Le maire de Londres agit au nom de l’attractivité internationale de sa ville qui serait menacée par le Brexit (ndlr : la ville peut s’attendre à subir un départ massif de sièges de sociétés vers d’autres capitales de l’UE). Son discours s’inscrit aussi, plus largement, dans un récit de ville-monde, ouverte et diverse qui véhicule une image de ville bien plus bankable, rentable pour cette capitale mondiale », analyse Nicolas Maisetti.
En France, les villes se mettant en situation de dissidence sont extrêmement rares. La question des OGM puis celle de la signature du traité transatlantique avaient bien déclenché des vagues de délibérations de villes ou de régions se déclarant « sans OGM » ou « hors TAFTA », mais sans réelles répercussions concrètes.
Parmi les gestes de dissidence politique forts et relativement récents, Nicolas Maisetti cite deux exemples : « L’indépendance de la Catalogne reconnue par la collectivité territoriale de Corse et la visite du maire (RN) de Béziers en Syrie en 2014 ».
Consensus politique et cumul de mandats
Pour Nicolas Maisetti, différentes raisons expliquent ce peu d’initiatives politiques locales s’opposant à la politique étrangère menée par l’Etat. D’une part, « il existe un consensus politique autour des grandes lignes de la politique étrangère de la France, même si quelques lignes de fracture émergent actuellement vis-à-vis de l’attitude à tenir vis-à-vis de la Russie et sur la question européenne ».
Le cumul des mandats qui a longtemps prévalu en France serait un autre facteur explicatif de la « docilité » des territoires. Amenés à être un jour députés, sénateurs, futur ou ex ministres, les maires ne peuvent pas se mettre en situation de critiquer la politique étrangère de leur pays. Le cumul des mandats étant partiellement révolu (ndlr : le cumul des mandats dans le temps reste possible), on peut imaginer que de nombreux maires n’exerceront que cette fonction politique durant leur vie. Cela pourrait changer la donne et les inciter davantage à la dissidence.
Désengagement de l'Etat
Troisième frein aux velléités de dissidence, le fait qu’en France, « les opérations de coopération décentralisée menées par les collectivités locales en direction de pays étrangers ont longtemps été principalement financées par l’Etat. On ne critique pas la main qui vous nourrit… »
Mais l’Etat ayant de plus en plus tendance à se désengager, les collectivités locales cherchent d’autres sources de financement, dans le privé ou en dehors de la France, pour assurer leurs politiques d’aide au développement. « Cela pourrait aussi ouvrir une brèche favorisant la critique de la politique étrangère menée par l’Etat », conclut Nicolas Maisetti.