Se réinventer pour survivre 1/3 - Detroit
Confrontées à des chocs industriels majeurs, les villes sont contraintes de se réinventer pour survivre. En collaboration avec Henri Briche, doctorant en science politique, Urbislemag consacre une série d’articles au sujet. Premier volet : la stratégie de la municipalité de Detroit, berceau américain de l’automobile qui, entre 1950 et aujourd’hui, a perdu près de 60% de sa population et vu son taux de logements vides exploser.
Comment gérer un territoire où 30 % des logements ont été abandonnés par leurs habitants ? C’est la problématique atypique et majeure à laquelle sont confrontés les pouvoirs publics de la ville de Detroit aux Etats-Unis.
Résultat d’un lent et douloureux processus de désindustrialisation amorcé dès les années 1950, les classes moyennes et supérieures ont jour après jour quitté la ville pour ses banlieues résidentielles, emportant avec eux capitaux et entreprises. Cette dynamique de décroissance a produit un paysage urbain de friches industrielles, commerciales et résidentielles, appelées blight (littéralement « rouille » à traduire par « friche » ou « abandon urbain » en français).
La stratégie de Mike Duggan
Plusieurs études démontrent la corrélation entre blight et chute des valeurs immobilières et foncières, développement de la criminalité et de l’insécurité, diminution dans la desserte des services publics, dégradation de la santé physique et mentale des habitants, etc.
C’est pourquoi Mike Duggan, actuel maire de Detroit, a pris à bras le corps cette problématique en relançant la banque foncière (land bank) de la ville dès son élection en 2014.
Une banque foncière est traditionnellement chargée de regrouper les parcelles détenues par la municipalité pour les revendre à des investisseurs privés. La Detroit Land Bank Authority (DLBA) détient aujourd’hui quelque 97 000 propriétés dans son inventaire. Par la multiplication des acquisitions et des saisies, elle est devenue l’institution de référence de la municipalité dans l’identification, la gestion et la revente des parcelles urbaines. Cet outil innovant a ainsi lancé différents programmes de régulation de l’abandon urbain des quartiers de Detroit.
Obligation d'entretien
D’abord, le Nuisance Abatement Program, grâce auquel la banque foncière a autorité pour notifier à un propriétaire son obligation d’entretenir son bien. En cas de refus, elle peut acquérir la propriété pour la revendre aux enchères en offrant aux potentiels acquéreurs des prêts à taux réduits facilitant sa rénovation. A ce jour, la DLBA a trouvé un accord de réhabilitation avec plus de 1 213 propriétaires et acquis 1 258 autres biens pour les revendre.
La DLBA joue un véritable rôle de stabilisation des quartiers ciblés en revendant 20% sous le prix du marché des terrains aux à des associations locales ou des organismes communautaires qui s’engagent à les réhabiliter et les réutiliser à des fins innovantes (Community Partnership Program).
100 dollars la parcelle du voisin
La banque foncière est aussi responsable du Side-lot Program, qui donne la possibilité à des propriétaires de racheter $100 un lot vacant adjacent à leur maison si celui-ci est propriété de la ville : 3 700 lots ont ainsi été vendus.
La banque foncière s’est aussi ouverte au partenariat public-privé en concluant un accord avec Quicken Loans pour la réhabilitation de 65 maisons dans 4 quartiers différents de la ville. L’entreprise de prêts immobiliers en ligne finance à hauteur de $5 millions ce Rehabbed & Ready Program permettant de combler les pertes de la DLBA liées au différentiel entre le coût de réhabilitation et le prix de revente. L’objectif des pouvoirs publics est d’accroître la valeur des propriétés immobilières dans des quartiers oscillant entre reprise et déclin urbain.
En conclusion...
Menées par le biais de la banque foncière, toutes ces innovations en matière d’intervention publique ont permis le retour des pouvoirs publics dans des quartiers de Detroit longtemps délaissés. De fardeau insurmontable, la question foncière est devenue une problématique qu’il est possible de traiter.
Detroit, ville en décroissance
Detroit a bâti son développement sur l’industrie automobile au début du XXe siècle. Forte de plus d’1,8 millions d’habitants en 1950, Motor City entame un processus de désindustrialisation au fur et à mesure de la délocalisation des sites de production : d’abord en proche périphérie de la ville, ensuite dans le Sud et l’Ouest Américain et enfin au Mexique et dans les pays où la main d’œuvre est moins couteuse. Ainsi, en 1947, on dénombrait 338 400 employés industriels travaillant dans 3 272 entreprises distinctes ; en 2013, le nombre d’emplois industriel a chuté à moins de 27 000. Entre 1972 et 1992, Detroit a ainsi perdu la plupart de ses emplois industriels au rythme de 5% par an.
La crise urbaine que traverse la ville aujourd’hui ne peut cependant être résumée à la simple fuite des emplois manufacturiers. Elle s’explique aussi par le départ des ménages les plus solvables vers les banlieues résidentielles. Plusieurs facteurs sont à l’origine du départ massif de la population blanche à partir des années 40-50 : un pouvoir d’achat boosté par les hauts salaires de l’industrie automobile et les déductions fiscales offertes par l’Etat dans l’obtention d’un prêt immobilier, la construction d’autoroutes reliant ces banlieues à la ville-centre et l’interdiction faite aux noirs américains jusqu’aux années 70 d’accéder aux banlieues pavillonnaires. Ces dernières deviennent donc l’espace réservé de la classe moyenne blanche et de ses capitaux.
Résultat de ce processus : en 2010, Detroit est composée de 83% de ménages noirs contre 10% seulement de familles blanches. Elle a perdu près de 60% de sa population (moins de 680 000 habitants aujourd’hui) et a vu son taux de logements vides exploser : il dépasse les 30% ! En 2014, on estimait que la ville possédait plus de 80 000 bâtiments abandonnés, dont 40 000 à démolir immédiatement.