Récompenser les habitants qui trient leurs déchets
Pour les collectivités locales, améliorer les habitudes de tri des habitants relève autant du casse-tête que de l’obligation. Derrière le geste de tri, essentiel pour l’environnement, se cache en effet également un enjeu financier considérable : lorsqu’ils sont bien triés, les déchets coûtent bien moins cher à traiter et à recycler. Ces dernières années, plusieurs entreprises se sont positionnées sur ce créneau porteur. Elles proposent aux collectivités d’astucieuses solutions clefs en main d’incitation au tri en contrepartie de gains de pouvoirs d’achat pour les habitants.
En juin 2018, la communauté d’agglomération du Pays de Grasse (100 000 habitants) a été la première à recourir à Cliiink, un boitier intelligent développé par la start-up Terradona. « Les particularités physiques de notre territoire nous empêchent d’installer autant de points d’apport volontaire de collecte du verre que nous l’aurions voulu », explique Julien Jamet, directeur de la collecte et de l’énergie du Pays de Grasse. « Nous avons donc opté pour un dispositif suffisamment incitatif pour que les habitants prennent la peine d’aller, parfois un peu loin de chez eux, y déposer leurs déchets en verre. »
Application numérique
« Cliiink a nécessité trois années de recherche et développement et le dépôt de trois brevets », relate Katia Barreiros, responsable du marketing à Terradona. « Il s’agit d’une technologie qui s’installe en dix minutes sur n’importe quel type de conteneur existant et qui reconnait le verre de façon infaillible. »
Les habitants sont invités à s’inscrire une première fois via une application numérique sur leurs smartphones, puis à se connecter au conteneur intelligent de leur choix à chaque fois qu’ils souhaitent y effectuer un dépôt de verres. Cliiink identifie immédiatement la quantité de déchets déposée et attribue des points sur le compte de l’utilisateur.
Du pouvoir d'achat pour les habitants
Les points ainsi obtenus sont ensuite échangeables contre des bons d’achats dans les commerces locaux. « Nous créons un emploi d’animateur de réseau commercial dans chaque territoire qui opte pour notre technologie », indique encore Katia Barreiros. Si bien que les points Cliiink ouvrent à un panel d’offres commerciales variées et attractives.
Cinémas, coiffeurs, grande surface, enseigne de bricolage, restaurants… Dans le pays de Grasse, 160 commerces de proximité ont vu leur intérêt à adhérer au dispositif. « Environ 19 500 euros de pouvoir d’achat ont été redistribués, ce qui a, selon nos calculs, permis de générer un chiffre d’affaires de 150 000€ chez l’ensemble des commerçants partenaires en un an », rapporte Julien Baesa, chargé de communication au Pays de Grasse.
Des clients pour les commerces locaux
Une aubaine dans un contexte où les élus de nombreuses villes moyennes cherchent par tous les moyens à redynamiser leurs centres-villes… Les habitants ont aussi la possibilité d’effectuer des dons à des associations caritatives et la Ligue contre le cancer perçoit systématiquement 3,05 euros pour chaque tonne de verre trié.
Côté performance de tri du verre, la satisfaction semble également de mise : « Nous avons équipé 130 de nos 260 colonnes à verre en ciblant celles où les performances de tri étaient les moins bonnes. Nous avons rapidement constaté une amélioration : + 16 % de verre déposé dès les 6 premiers mois d’utilisation. Nous atteindrons sans difficulté notre objectif de + 25 % à la fin de cette année », se félicite Julien Jamet.
Des économies pour les collectivités
Chaque tonne de verre trié permet aux collectivités locales de réaliser des économies substantielles : selon l’ADEME, en France, une tonne de verre déposée dans un point d’apport volontaire puis recyclée coûte en moyenne 54 euros à une collectivité tandis qu’une tonne d’ordures ménagères non triée à traiter lui revient en moyenne 227 euros.
La société Terradona a fait de ces chiffres un argument massif de séduction : « Notre solution Cliiink permet d’augmenter le tri de 3,5 tonnes de verre supplémentaire par colonne, ce qui représente une économie de plus de 600 € par colonne en coût de traitement. Opter pour notre système ne coûte rien au final aux collectivités », affirme Katia Barreiros. Une dizaine de collectivités locales se sont déjà laissé tenter. Gageons que d'autres suivront rapidement.
Ecologie positive plutôt qu'écologie punitive
D’autres initiatives privées s'appuyant sur l’écologie positive, plutôt que punitive, ont émergé ces dernières années et semblent amenées à se multiplier.
Depuis 2017, la jeune pousse Yoyo encourage ainsi le tri des bouteilles en plastique en échange de cadeaux ou de réductions. L'entreprise est implantée dans des quartiers de Bordeaux, Lyon, Marseille, Mulhouse, Reims ainsi qu’à Asnières, Levallois-Perret et Clichy-la-Garenne, trois villes du Grand Paris. Son modèle de fonctionnement repose sur l’humain plutôt que la technologie. La tâche est répartie entre deux types d'acteurs, les coachs et les trieurs. Les trieurs, munis de grands sacs orange, remplissent ces derniers de bouteilles en plastique. Une fois les sacs remplis, ils les amènent aux coachs qui les rassemblent en vue de les rapporter à Yoyo qui se charge de l'ultime étape, à savoir, le trajet jusque l’usine de recyclage. Chaque sac rempli permet au trieur de collecter 125 points (25 points pour le coach). C'est sur la boutique en ligne que se récoltent les récompenses : un dessert du jour dans un restaurant de Reims pour 200 points, un cours de yoga à Marseille pour 250 points ou encore une place pour un match de football Reims-Angers à 250 points...
Depuis 2018, Suez propose le kiosque Réco, destiné à prendre place sur les parkings de supermarché. Chaque kiosque permet aux utilisateurs d’échanger façons et bouteilles en plastique contre des bons d’achats (1 à 2 centimes d’euros par contenant) exclusivement utilisables dans le supermarché où il est installé.
Et si on rémunérait les déchets en cryptomonnaies ? Une idée défendue par Olivier Babeau, professeur des sciences de gestion à l’université de Bordeaux et directeur de l’institut Sapiens, un “think tech” français.
A Grenoble, pour moins payer, les habitants devront moins jeter : en 2022, les poubelles des Grenoblois seront pucées et les bennes dotées d’un lecteur afin que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères soit allégée pour ceux qui jettent moins. Une incitation financière à la réduction des déchets inédite à l’échelle d’une métropole.