Nantes expérimente pour la santé globale

Urbanisme
Mercredi 10 juillet 2024

Alice Millat © Réalisation Studio Katra




A Nantes, on ose, on teste et on évalue. Ces dernières années, une solide culture de l’expérimentation s’est imposée dans l’aménagement de plusieurs espaces publics de la métropole. L’objectif ? Favoriser, par le biais de nouveaux services et de nouveaux usages, le bien-être physique, mental et social des Nantais. Pour tout comprendre de cette audace bretonne, Urbis le Mag a rencontré deux de ses principaux protagonistes : Francky Trichet, vice-président à l’Innovation de Nantes Métropole et Karine Pierre, chef de projet Expérimentations à la SAMOA, la société publique locale chargée de l’aménagement de l’Île de Nantes et du développement économique des industries culturelles.

A quelques encablures du célèbre éléphant de l’Île de Nantes, la fresque Alice-Milliat ne laisse aucun passant indifférent. Peinte sur le sol, la silhouette de cette sportive nantaise – qui fit de la participation des femmes aux Jeux olympiques son plus grand combat – se déploie sur 1800 m². Formes, couleurs, mobilier… Chaque partie de son corps a été pensée selon les principes du design actif, dans le but de susciter une irrépressible envie de se mettre en mouvement.

« Le design actif est arrivé dans nos pratiques d’expérimentations comme une évidence dans le contexte post-covid », retrace Karine Pierre, chef de projet à la SAMOA. « Low tech, peu coûteux, ce nouvel outil nous a aussi, et surtout, séduit par son aspect inclusif ; et notamment sa capacité à aménager des espaces publics où les femmes se sentent à leur place. »

Supers pouvoirs inclusifs

Le constat n’est pas nouveau : un peu partout en France, les terrains de sport urbains (citystades, skate parks et autres street work out…) sont majoritairement fréquentés par des hommes. Encore trop peu de démarches faisant de la mixité un objectif à part entière tentent d’inverser la vapeur. Les raisons sont diverses : manque de volonté, manque de moyens pour financer l’encadrement nécessaire par des éducateurs… Et aussi, manque de propositions alternatives clairement identifiées. Jusqu’à l’apparition du design actif et de ses supers pouvoirs inclusifs.


« Cet outil a la capacité de permettre de créer des espaces dédiés aux familles au sens large : enfants, parents et grands-parents. C’est un peu caricatural, mais c’est par ce biais qu’on arrive à attirer les femmes », constate Karine Pierre. L’espace Alice-Milliat comporte d’abord une multitude de jeux – labyrinthe, marelle, twisterle sol est en lave, mölkky – et de sports de glisse pour débutants – skate, roller et longboard. « Nous avons travaillé sur le choix des jeux et des disciplines sportives en sondant spécifiquement les attentes des femmes. C’est la raison pour laquelle le running est au cœur du projet. »

La longue chevelure d’Alice Milliat est ainsi incarnée par une piste d’athlétisme arc-en-ciel de 170 mètres. « Nous y avons placé un radar de vitesse instantané. C’est très ludique ! Vous imaginez bien que les adultes sont aux aussi très tentés de faire la course. » Difficile en effet de résister… « On trouve également de quoi s’étirer, tenir des postures de yoga, faire du fitness, de la danse, du saut en longueur et d’obstacles, du parkour, de la boxe… »

Rendez-vous dans 1 an


D’un coût global de 90 000 euros (30 000 euros pour la mise en peinture et le mobilier), cette réalisation a nécessité beaucoup de recherches et d’ingénierie en amont ; « par exemple, nous avons mis un peu de temps à trouver la peinture que nous cherchions : anti-glissance, en phase aqueuse, respectueuse de l’environnement et réversible – elle est prévue pour durer deux à trois ans. »

Car la fresque Alice-Milliat est une expérimentation. Soumise, comme la plupart des expérimentations menées sur l’Île, à évaluation. « Nous mesurons actuellement la fréquentation et observons comment et par qui l’espace est utilisé. Les premiers résultats sont excellents : en une demi-heure on compte plus de 100 personnes à utiliser l’espace. On observe également cette fréquentation mixte et intergénérationnelle souhaitée. Nous tirerons cependant des conclusions définitives au bout d’un an, début 2025, pas avant », explique encore Karine Pierre.

L’expérimentation constitue une alternative intéressante au temps long du projet urbain – 10 à 15 ans peuvent en effet s’écouler entre la conception d’un projet et sa livraison. Elle nous permet de répondre aux attentes des habitants et des citoyens qui évoluent, elles, bien plus vite. Si l’expérimentation permet de tester rapidement de nouvelles solutions, nous ne prenons aucun engagement sur le fait qu’elles vont fonctionnerKarine Pierre

 

Tester grandeur nature dans l’espace public avec de "vraies personnes" permet de tirer très rapidement des enseignements précieux pour modifier ou améliorer les propositions. « Nous procédons ainsi depuis plus de 6 ans, ce qui nous a permis d’acquérir une expertise solide. Nous expérimentons avec une date de début et une date de fin. Ce temps d’usage doit nous permettre d’observer des prémisses de changements de comportement et des prémisses d’impacts dans l’espace urbain… »

Evaluer avec méthode

L’évaluation porte sur quatre axes : les usages (compréhension, utilité…), la performance (pas de glissance de peinture par exemple), la maintenance (facile à désinstaller, réparable rapidement…) et les impacts (impact social, activité physique perçue, retour sur investissement, intégration dans le paysage…).

« Cette évaluation se base sur deux types de données : celles issues de l’observation, que nous menons à des moments variés, puis celles émanant d’enquêtes auprès des usagers. Nous misons sur la simplicité et l’efficacité pour recueillir beaucoup d’avis en peu de temps. Un panneau d’affichage comportant une seule question nous permet par exemple de recueillir 1500 avis en une demie heure. Il nous suffit de compter les pouces levés et les pouces baissés des passants invités à s'exprimer par ce geste. Notre objectif n’est pas de mener une étude scientifique approfondie mais de cerner une tendance : c’est une intuition d’usage que nous prônons. »

En 2021, la SAMOA a publié un livre blanc sur sa méthodologie d’évaluation, volontairement mis en accès libre pour que d’autres collectivités locales puissent s’en inspirer.

 

Zoom sur la SAMOA

La SAMOA est une société publique locale, à la fois aménageur urbain des 337 ha de l’Île de Nantes et agence de développement économique des industries créatives et culturelles qui y sont installées. De ce mariage inattendu, fruit de l’histoire du lieu, émergent des expérimentations urbaines qui ambitionnent de coller au plus près aux attentes sociétales actuelles : égalité hommes-femmes, qualité de l’air, accès au sport… Pour proposer ces solutions innovantes, le réseau des industries culturelles et créatives est mis à contribution. En contrepartie, les entreprises de ce secteur d’activité bénéficient d’un coup d’accélérateur en matière de commercialisation de leurs produits.

L'interview

« L’expérimentation est un incroyable accélérateur d’innovation »


Elu nantais, Franckie Trichet est également vice-président à l’innovation et au numérique de la métropole. C’est sous son impulsion qu’a été lancé, au printemps 2023, le tout premier appel à expérimenter sur le thème de la santé globale qui a permis à l’espace Alice-Milliat de voir le jour.

- « D’où vient votre volonté de favoriser la santé globale dans les projets innovants ?

Sous l’égide de l’innovation, la filière de la santé globale me passionne particulièrement. La santé globale consiste à embrasser tous les déterminants de santé pour favoriser le bien-être social, physique et psychique. Ce qui m’intéresse, c’est de voir, comment un projet de santé globale positionné dans une métropole vient bousculer des politiques publiques extrêmement diverses : urbanisme et fabrique de la ville, sport, santé, égalité, éducation…

Sur le papier c’est beau ; j’ai donc voulu passer à la pratique (rires). J’ai lancé un appel à expérimenter dans le cadre du Nantes City Lab, en lien avec JCDecaux, doté d’un budget de 300 000 euros dans le but de voir se monter des projets incarnés et concrets autour de la santé globale. L’expérimentation est un incroyable accélérateur d’innovation.

- Quels sont les termes de cet appel à expérimenter ?

Les conditions posées par l’appel à expérimenter sont claires : on demande aux porteurs de projets d’émettre des hypothèses à éprouver et évaluer. De déterminer un début et une fin. Et de collaborer : la solution doit naître d’un travail d’équipe entre des asso et des entreprises locales avec les habitants. Huit projets ont été lauréats de la première édition (NDLR : un appel à expérimenter saison 2, toujours en lien avec la santé globale, est en cours. Les candidats avaient jusqu’au 26 juin pour déposer leurs dossiers).

- Parlez-nous de quelques-uns de ces projets. Certains sont très intrigants, très en phase avec notre époque, d’autres sont plus terre-à-terre mais tout aussi épatants émanant d'une collectvité locale.

Oui, en effet ! Je pense que vous évoquez Easyploof, qui a été testé dans deux écoles maternelles. Ce dispositif apprend aux jeunes enfants à adopter une position physiologique, – l’accroupi complet –  aux toilettes. Cette position naturelle pourrait permettre de résoudre pas mal de petits blocages de transit observés chez les petits. C’est un projet très simple et très efficace.

Le projet Epilepsia waves se propose d’accompagner les personnes souffrant d’épilepsie avec de la musique. Tout est parti d’une observation scientifique : l'effet Mozart. Une certaine rythmique de Mozart calmerait les crises d'épilepsie. L’idée des différents protagonistes – une artiste, un scientifique, une spécialiste de l’innovation et l’association Epilepsie France – est d’expérimenter la création d’un répertoire original, unique et moderne comme traitement non-invasif de l’épilepsie. Une première phase de protocole expérimental avec le CHU et de premiers patients a eu lieu.


J'ai aussi envie d'évoquer La parenthèse enchantée qui a été inaugurée le 5 juillet. C'est une réalisation absolument unique en son genre. Elle est née d’un constat : notre surconsommation d’outils numériques génère de la charge mentale et du stress. Gigantesque ralentisseur poétique, La parenthèse enchantée est un parcours immersif qui permet aux promeneurs de passer en mode avion pour explorer leur monde intérieur et réactiver leur créativité.C’est un parcours de santé mentale qui vise à apporter de la joie et du réconfort.

- Que deviennent les expérimentations qui fonctionnent ?

Les expérimentations qui fonctionnent, on essaiera évidemment de les pérenniser. Nous avons déjà acté le fait que l’Île de Nantes sera à l’avenir un lieu privilégié pour expérimenter d’autres nouveautés en matière de design actif.

One Wall © Ocü (invité par Studio Katra)
One Wall © Ocü (invité par Studio Katra)

Un One Wall vient d’ailleurs d’y être inauguré en partenariat avec la fondation Décathlon (photo ci-contre). Il s’agit d’un sport urbain, cousin de la pelote basque et du squash, qui se pratique juste avec une balle et un mur. Ocü, une artiste roumaine qui a déjà travaillé ici, a réalisé l’illusion d’optique très colorée qui orne le mur. Et nous avons confié l’animation du site pour 1 an à une association sportive nantaise qui organisera des tournois, des initiations, des démonstrations.

Les pratiques sportives libres sur l’espace public sont en train d’exploser. En tant qu'élus, nous nous devons de prendre en compte ces nouveaux usages. J’y vois aussi des bénéfices très concrets : ce sont des espaces qui coûtent peu cher à aménager et qui permettent de créer de la vie dans des lieux où il y a des problèmes de sécurité par exemple. »

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.