Montpellier : la gratuité pour réconcilier les classes populaires avec l'écologie
Michaël Delafosse, maire et président de Montpellier Méditerranée Métropole, a annoncé aujourd’hui devant la presse sa stratégie de gratuité des transports. Avec une conviction impressionnante, le nouvel élu a confié à Urbis le Mag sa vision des choses et son plan d’action.
- « Lors des dernières élections, 18 maires favorables à la gratuité ont été élus. Vous en faites partie. Pensez-vous que la gratuité soit une mesure d’avenir ? Qu’elle corresponde à une certaine modernité ? Et si oui, à quelles caractéristiques de notre époque s’adapte-t-elle ?
La gratuité est résolument une mesure d’avenir ! C’est d’ailleurs la toute première mesure que j’ai décidée de mettre dans mon programme électoral, il y a un an presque jour pour jour. Et depuis, je n’ai cessé de la défendre, seul face aux autres candidats en lice. J’étais donné à 8 % d’intentions de vote au départ et j’ai terminé élu, avec 48 % des voix. Il était écrit « Pour la gratuité des transports » sur mes bulletins de vote.
Et pourtant, je suis socialiste : ma culture, mon ADN politique a longtemps été celui de la tarification sociale (NDLR : qui consiste à faire payer moins cher un service, par exemple les transports en commun, aux moins aisés). Mais plusieurs chocs m’ont fait changer d’avis. D’abord, voir mes élèves – je suis professeur d’Histoire-géo – partir en nombre marcher pour le climat. Ces milliers de jeunes nous ont adressé un message : il faut agir. Deuxième choc, la crise des Gilets jaunes, entre autres causée par la taxation du diesel pour des raisons de protection de l’environnement. J’ai pensé que c’était l’une des pires choses à faire : dresser ainsi les classes moyennes et populaires contre l’écologie. A contrario, la gratuité concilie l’action climatique tout en offrant une réponse sociale aux besoins de mobilités des moins riches.
Imaginez comme la gratuité va rendre les jeunes habitants de la métropole fiers. Ils pourront penser qu’ici, chez eux, on agit pour le climat en mettant en libre-accès une mobilité plus vertueuse écologiquement parlant. Car le nouveau paradigme de la modernité, c’est bien de protéger la qualité de l’air ! La gratuité est une mesure emblématique non pas punitive mais au contraire, positive et porteuse d’espoirs. Elle démontre qu’un autre chemin est possible. Nous réserverons la gratuité des transports aux seuls habitants de la métropole montpellieraine (NDLR : et donc pas à ses visiteurs). C’est une façon de justifier les impôts payés qu’ils payent. C’est une mesure de consentement à l’impôt. Et ça, c’est moderne.
Montpellier va devenir la première métropole de 450 000 habitants à adopter la gratuité. C'est plus du double de Dunkerque (200 000 habitants). Or, les détracteurs de la gratuité jugent que seules des villes petites ou moyennes, ou encore des cas particuliers (Dunkerque et Niort étant rangées dans cette catégorie) peuvent pratiquer ce type de politique publique. Qu’avez-vous envie de leur répondre ?
J’ai envie de leur dire : et donc ? On ne fait rien ? On en reste là ? On continue comme on a toujours fait ? Bien sûr qu’instaurer la gratuité, c’est une audace, une prise de risque. Mais c’est aussi un grand récit de la République. Les mêmes qui combattent la gratuité aujourd’hui ont lutté contre l’enseignement gratuit et l’assurance maladie… Ce sont des conservateurs. Et moi, je ne le suis pas. On me dit que le réseau va saturer. Je réponds : les bus à moitié vides dans les embouteillages, c’est mieux ? Les personnes âgées qui renoncent à prendre le bus parce que c’est cher, c’est normal ? Les jeunes qui ont pour priorité de passer le permis de conduire, c’est bien ? Je vais donner du grain à moudre aux opposants à la gratuité et je vais avancer. Nous allons développer le réseau de transport, construire des sites propres pour sortir les bus des embouteillages, faire la 5ème ligne de tramway. Et je vais aussi être ambitieux pour tous les modes de transports alternatifs à la voiture : je l’ai montré dès mon élection en partageant 20 km de 2X2 voies entre les vélos et les voitures.
Pourquoi les débats sont-ils aussi passionnés sur la gratuité ?
Je crois que chacun a besoin de défendre ce en quoi il croit. Nous avons tous des certitudes et il n’est pas facile de changer d’avis. Il y a 10 ans, j’étais contre la gratuité. Mais j’avais tort. Je le dis simplement. J’aimerais que des débats aussi passionnés voient le jour concernant les routes qui sont gratuites...
Parlons un peu de la métropole de Montpellier. Vous avez tenu aujourd’hui une conférence de presse. Pour instaurer la gratuité totale, quelle sera votre stratégie ?
Nous avons défini trois étapes pour arriver à la gratuité. J’ai été élu président le 15 juillet. Le 31, nous votions un budget. Le 5 septembre, les transports en commun seront gratuits tous les week-ends. Cette temporalité politique est très importante à mes yeux : il s’écoule peu de temps entre le vote des citoyens et la mise en œuvre. La gratuité a été choisie par les Montpellierains. Ne pas aller vite serait leur manquer de respect.
La 2ème étape sera le temps de la stratégie budgétaire. Nous allons passer au crible les dépenses, mettre fin à certaines, redéployer des crédits, réaffecter l’argent à notre projet. Nous passerons aussi à une gratuité partielle sur critère d’âge, pour les jeunes – qui, je l’espère, perdront un peu le réflexe voiture en ayant grandi dans les transports gratuits – et les seniors, pour lesquels la mobilité gratuite sera un moyen de conserver une vie sociale garante de leur bien-être.
La 3ème étape sera celle de la gratuité tous les jours et pour tous les habitants. Idéalement, j’aimerais qu’elle se mette en place dans 24 à 36 mois.
Quel est le plus gros défi de la gratuité ? L’argent ? Convaincre les automobilistes ? Gérer l’afflux d’usagers ?
C’est l’argent, sans conteste. Nous chiffrons la gratuité à 24 millions d’euros par an. Cela représente 5 % du budget de fonctionnement de la métropole. C’est donc tenable. De plus, nous sommes un territoire dynamique, ce qui est précieux et nous garantit des recettes.
Les automobilistes vont être malmenés ces prochaines années. Je n’ai pas peur d’une certaine impopularité. Les gens ont voté pour moi pour que je réduise la place de la voiture dans notre métropole. Les sites propres du bus se feront au détriment des routes, indéniablement.
Quant à l’afflux d’usagers, je sais que beaucoup de villes ont été surprises. Nous allons essayer de prévoir davantage. J’ai confié à la vice-présidente aux Transports de la métropole (Julie Frêche). le dossier de la gratuité évidemment mais aussi celui des temps urbains. Nous pensons qu’aménager les temps de travail, les temps scolaires permettra mieux répartir la fréquentation. Nous disposons d’un levier important avec les seuls fonctionnaires de la métropole. Le confinement a rebattu les cartes du rapport au travail, le télétravail va sans doute prendre une place grandissante. Enfin, il va falloir recréer de la confiance pour inciter les usagers à revenir dans les transports en commun. Le Covid-19 a écorné cette confiance. Et actuellement, tous les réseaux, gratuits ou pas, sont en train de financer la gratuité… (rires)
Quel rôle comptez-vous jouer dans le réseau de villes de la gratuité qui se constitue et dans l’Observatoire des villes du transport gratuit ?
Nous voulons être présents dans deux instances qui nous paraissent importantes : le GART (Groupement des autorités responsables des transports) parce qu’il est important que la gratuité y soit représentée. Et l’Observatoire des villes du transport gratuit, pour bénéficier de ses études et de son expertise. J’inviterai rapidement les chercheurs du comité scientifique de l’Observatoire à venir à Montpellier. Dans tous les réseaux, la gratuité est en questionnement aujourd’hui. En 2026, tous les candidats feront campagne pour ou contre la gratuité. Nous avons donc besoin de travailler sur la question, ensemble, au sein d’un réseau des villes du transport gratuit. »