Introduction à la ville numérique avec Philippe Gargov
A la tête du cabinet de prospective urbaine Pop up urbain, Philippe Gargov conseille entreprises privées et collectivités publiques sur les grandes tendances à venir en matière d’habitat, de commerce ou de numérique. Urbislemag l’a rencontré pour parler de la ville numérique, un concept à la mode chez les professionnels de l’urbain mais encore relativement méconnu du grand public.
« La ville intelligente a donné lieu à beaucoup de colloques et d’articles dans les revues spécialisées ces dernières années. De quoi s’agit-il exactement ?
Faire la ville intelligente, c’est utiliser les outils numériques pour optimiser la gestion de la ville : fluidifier les transports en commun, faciliter le stationnement, réduire la pollution, limiter le gaspillage, développer de nouveaux modes de concertation et de gouvernance urbaine… C’est une façon d’améliorer qualitativement la ville. Le terme de ville intelligente est cependant un peu trompeur : la ville a toujours été intelligente. Aujourd’hui, elle utilise juste de nouveaux outils pour tenter de faire mieux ce qui se faisait déjà auparavant.
La ville intelligente existe-t-elle déjà ?
Il n’existe pas de ville totalement intelligente, à part quelques projets de villes nouvelles, entièrement dédiées au numérique, qui relèvent davantage de chimères que d’une réalité concrète. Les villes réelles, elles, choisissent plutôt d’utiliser l’intelligence du numérique dans quelques domaines ciblés. Ainsi, pour proposer une organisation optimale durant les Jeux Olympiques, Londres a placé dans ses transports en commun des capteurs lui permettant de récolter des données.
En France, quelques villes font figures de pionnières. Toutes les places de stationnement d’un quartier d’Issy les Moulineaux ont été équipées de capteurs. Une application pour smartphone a été développée pour que les automobilistes sachent où se garer. La collectivité est aussi en mesure de voir qui est en infraction et de verbaliser. A Nice, ce sont la chaussée et le mobilier urbain d’un boulevard qui ont été connectés dans le but d’aider la municipalité à optimiser la sécurité – grâce à une meilleure gestion des effectifs de police – et du stationnement.
Que faut-il penser de ces deux expériences ?
A dire vrai, le bénéfice de ces deux expériences parait un peu limité au regard du coût énorme qu’elles représentent. L’effet de mode autour de la ville intelligente, encouragé par la concurrence entre les territoires, a généré des promesses dont on sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas vraiment tenues… Si la ville numérique reste indiscutablement une voie d’avenir, le manque de questionnement, de transparence et de retours d’expérience est un problème. Les entreprises privées qui occupent ce créneau se montrent peu bavardes, leur discours marketing est très rôdé et consensuel. Il y a beaucoup de fumée pour pas grand-chose pour l’instant… Quant aux urbanistes, ils ont un peu perdu la main et c’est bien dommage car la ville intelligente se contente de poursuivre ce qu’ils font depuis des années…
Vous évoquez souvent d’autres risques concernant la ville connectée et notamment celui du piratage. Que faudrait-il craindre exactement ?
Un exemple récent a beaucoup fait parler dans les rues lilloises : un pirate a utilisé des panneaux signalétiques pour faire passer des messages graveleux. Cette blague potache a eu le mérite de démontrer que la ville numérique est vulnérable. Imaginons la gravité de la situation si un pirate malintentionné décidait par exemple de perturber le fonctionnement des feux rouges à un carrefour, d’éteindre les lumières… »
En juin 2014, Envoyé spécial avait consacré un reportage aux failles de la ville de Nice connectée.
Vers des villes aseptisées ?
« Nous avons tous en tête les mythes de la science-fiction : les voitures qui roulent toutes seules et donc sans accidents, les publicités qui vous reconnaissent dans la rue comme dans Minority report, les métros à l’heure (rires de Philippe Gargov). Je ne crois pas une seconde à cette vision de la ville aseptisée. Le charme de la ville, c’est l’inattendu. Les outils numériques n’empêcheront jamais la ville de bugger. La ville est par essence bien trop complexe pour cela et c’est ce qui fait son charme… »
Rendez-vous sur le site de Pop up urbain, le cabinet de prospective urbaine de Philippe Gargov.