Design incitatif : innover en respectant la loi

Urbanisme
Lundi 07 octobre 2024

Marquages au sol visant à sécuriser les cheminements piétons dans une zone de rencontre à Roubaix.




« Cela ne va pas être possible, ce n’est pas réglementaire. » C'est un fait : la volonté d’innover dans l’espace public, notamment par des marquages au sol incitant les automobilistes à ralentir, se heurte souvent à la réglementation stricte en matière de signalisation routière. Faut-il pour autant ne rien tenter ? Pour savoir comment concilier design incitatif et code de la route, Urbis le Mag a interrogé Cédric Boussuge, directeur de projet espaces publics et piétons au Cerema.

En France, le distinguo s’opère principalement entre rue piétonne, zone de rencontre, zone 30 et rue banale. Sur une aire piétonne, en matière de marquage au sol, c’est simple, tout est permis : la porte est grande ouverte à toutes formes de créativité. La zone de rencontre, elle, offre également une grande latitude d’action, à l’exception de marquages incitant les piétons à occuper durablement la chaussée. Dans les zones 30 et les rues banales, l’affaire se corse, mais des opportunités d’agir dans le but d’apaiser la circulation et de sécuriser les parcours piétons et cyclistes restent possibles.


Panneau zone de rencontre.

Zones de rencontre.-

Pour Cédric Boussuge, « passer une rue 30 en zone de rencontre est la solution la plus simple pour engager une démarche de design incitatif ». En effet, le statut de zone de rencontre permet de dessiner librement sur les sols la plupart des motifs, à l’exception de ceux reproduisant des signaux routiers et de ceux incitant à occuper durablement la chaussée : « Tracer une marelle, qui inviterait les enfants à jouer durablement au milieu de la chaussée, n’est donc pas autorisé ». Pour le reste, pas de limite, la créativité peut s’exprimer pour signaler aux automobilistes qu’ils doivent rouler au pas et aux piétons, qu’ici, ils sont prioritaires. C'est ainsi qu'à Rouen, une artère commerçante du centre-ville a été transformée en zone de rencontre de façon à permettre à l’artiste scénographe Nicolas Soulabail d’y dérouler, sur 700 mètres de chaussée, des motifs à la fois patrimoniaux, esthétiques et sécurisants.

Jeu autorisé en zone de rencontre belge

Panneau belge signalant une zone de rencontre.
Panneau belge signalant une zone de rencontre.

La zone de rencontre française serait-elle moins permissive que son homologue belge ? Cette réalité s’incarne pleinement lorsque l’on compare les panneaux respectifs de signalisation d’une zone de rencontre : sur le panneau belge, un enfant est dessiné en train de jouer au ballon. Sur le panneau français, le ballon et l’enfant ont disparu. En Belgique, contrairement à la France, le jeu est en effet autorisé sur la partie centrale de la chaussée, à condition qu’il s’interrompe pour laisser passer les voitures.


Pictogrammes géants à Paris.

Zones 30.-

En matière de marquage d’animation, l’affaire se corse en zone 30. Mais pas tant que cela : le changement de matériau est votre ami ; votre bonne foi aussi. Il s’agit de faire respecter ce fameux 30 dans un contexte où les dos d’âne et autres coussins berlinois ne sont pas toujours possibles, ni même efficaces (prise de vitesse constatée sitôt le fameux ralentisseur passé). L’enjeu va être de signaler à l’automobiliste qu’il emprunte une rue au statut spécifique et que son comportement doit rester le même tout au long de son trajet.

La Ville de Blois mène depuis quelques années des expérimentions en ce sens, dans différentes rues où se trouvent des écoles. Des marquages au sol d’alerte adressés aux conducteurs afin qu’ils ralentissent ont été tracés à l’aide de peinture autoroutière aux abords des passages piétons devant trois groupes scolaires. Est-ce réglementaire? « Non, car peindre la chaussée en zone 30 n’est pas autorisé », répond Cédric Boussuge. Est-ce toléré ? « Oui, car il n’y a aucune mise en danger des piétons ; les automobilistes ont parfaitement compris la démarche », estime-t-il.

Changement de matériau.-

Le saviez-vous ? L’enrobé bitumeux classique est le seul à être soumis à une obligation de coloris noir-gris. De fait, tout autre matériau échappe à cette règle. C’est la raison pour laquelle on a pu observer, ces dernières années en France, l’apparition de portions de chaussées, souvent ocre ou rougeâtre, en béton désactivé. Ce trou dans la raquette réglementaire permettrait par exemple d’imaginer alterner des lignes en béton désactivé coloré et des lignes en enrobé classique foncé pour former un motif. Il a en tout cas rendu possible la mise en couleur en résine bleu ultra vif de l’ensemble des sols et des façades de la place Jacques-Fébvrier à Lille.

Marquages au sol ultra colorés au Carrefour des Limites à Pantin - CD de Seine-Saint-Denis
Marquages au sol ultra colorés au Carrefour des Limites à Pantin - CD de Seine-Saint-Denis

Couleurs.-

Le changement de matériau sur la voirie permet, on l’a vu, certaines libertés en matière de motifs et de couleurs. Aucune tolérance n’est en revanche accordée envers l’utilisation des teintes rouge RAL 3020, bleu RAL 5017, jaune RAL 1023, blanc RAL 9016 et vert  RAL 6024, strictement réservées aux panneaux et marquages du code de la route.

Passages piétons.-

Le piéton peut-il traverser une rue n’importe où ? « Oui, sauf si un passage piéton se trouve à moins de 50 mètres. » Cédric Boussuge rappelle : « L’instruction interministérielle sur la signalisation routière se montre très précise en matière de passages piétons : ceux-ci doivent être formalisés par des bandes blanches parallèles sur fonds noir – chaque bande blanche affichant 0,5 m de large et à minima 1,50 m de long ; la largeur entre chaque bande devant être comprise entre 0, 5 et 0, 8 m ». Cette uniformisation poursuit un objectif : favoriser la compréhension par tous (enfants, chiens d’aveugle…).

Comme pour la chaussée, changer de matériau offre un peu de latitude d’action sur les passages piétons. Attention cependant à conserver le principe d’un contraste élevé entre bandes blanches et chaussée colorée. La présence de bandes d’éveil et de vigilance, aussi appelées bandes podotactiles, qui jouent le rôle de repères pour les malvoyants, reste, elle aussi, impérative.


Traversée suggérée à l'anglaise.

Traversées suggérées.-

En Allemagne, on trouve très peu de passages piétons ; le choix s’est davantage porté sur des traversées suggérées. « A condition de respecter les règles d’accessibilité – abaissé de trottoir, ajout de bandes d’éveil et de vigilance-, c’est aussi une bonne façon d’agir dans nos rues car ces traversées peuvent être formalisées avec une belle liberté d’action », selon Cédric Boussuge. Les traversées suggérées piétonnes sont en effet matérialisables de mille façons : changement de matériau (pavés, pierres, résine, clous, barres métalliques…), pictogrammes piétons ou textes peints au sol ; rétrécissement de la chaussée, création d’îlots-refuges…

La recommandation française en matière d'îlot-refuge – à créer lorsque la largeur de chaussée dépasse 8 m – est « peu utilisée, alors que des pays voisins l’utilisent largement et, ce, pour des seuils inférieurs », peut-on lire dans un rapport du Cerema sur le sujet des traversées suggérées (cf l'encadré "En savoir plus", en bas d'article).

Cédric Boussuge adresse une mise en garde concernant « le stationnement bilatéral, peu compatible avec la traversée suggérée : le piéton ne va pas se sentir dans la possibilité de traverser. Il convient de donner de la légitimité au piéton par l’aménagement pour le sécuriser. »

Trottoirs en liberté.-

N’étant pas sur la chaussée, les trottoirs sont libres de toute réglementation en termes de marquage au sol. Voilà qui offre de belles perspectives pour des trottoirs élargis et dotés de cheminements ludiques !

Le conseil du Cerema.-

« Certaines prises de risques mesurées de la part des collectivités sont tolérées en matière de marquage au sol. Et notamment les tests menés dans l’esprit de faciliter les parcours piétons et cyclistes sans mettre en danger personne. Et surtout les plus vulnérables : personnes porteuses de handicaps, enfants, parents avec poussettes etc. N’hésitez pas à nous solliciter avant d’agir, notre rôle est de vous conseiller, dans le respect des règles en vigueur. »

Connaissez-vous les dents du dragon ?

Ce marquage testé depuis 1 an en Espagne et à Québec constitue une piste séduisante pour réduire visuellement la chaussée et indiquer à l’automobiliste qu’il convient de ralentir. Composé de multiples petits triangles disposés de part et d'autre de la voie – d’où ce nom de dents du dragon –, il est censé amener les conducteurs à réduire leur vitesse de circulation par rapport au tronçon précédent. En effet, de loin, l'accumulation de ces triangles donne l'illusion que la route rétrécit et qu'il vaut mieux ralentir. Un autre marquage au sol, en forme de zigzags, fait également l'objet de tests : il a cette fois pour objectif de prévenir les automobilistes de l’arrivée imminente d’un passage piéton sur leur route.

 

Sur les traversées piétonnes suggérées

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.