Crise énergétique : pourquoi pas le vélo ? 1/2
Urbis le Mag a rencontré Stein Van Oosteren, auteur du l’essai « Pourquoi pas le vélo ? Envie d’une France cyclable ». Ce natif des Pays-Bas, longtemps porte-parole du Collectif Vélo Île-de-France, en est persuadé : la France est en train de prendre le tournant du vélo. Tout comme les Pays-Bas ont abandonné la voiture pour la petite reine dans le contexte du choc pétrolier des années 70 ; la crise énergétique actuelle serait une chance pour changer notre modèle de déplacement. Optimiste et militant convaincu, Stein Oosteren nous explique pourquoi le vélo est le moyen de transport de notre avenir.
- « Le temps du vélo est-il venu en France ? Votre essai se montre très optimiste sur ce point. Mais il donne aussi à lire une liste interminable de dysfonctionnements et de contraintes qui pèsent sur la pratique cycliste… Croyez-vous vraiment que le vélo puisse devenir un mode de transport massif dans notre pays ou êtes-vous un adepte de la méthode Coué ?
Je suis étonné que vous puissiez croire que j’ai un doute sur la question (rires) ! A Paris, c’est déjà une réalité : le vélo est un moyen de transport quotidien pour de nombreux habitants. Plusieurs faits objectifs viennent corroborer cette affirmation. En Île-de-France – où je vis –, ce sont d’abord des citoyens qui ont pointé l’absence de réseau cyclable entre les villes du territoire. Réunis au sein du Collectif Vélo Île-de-France, ce sont eux qui ont inventé et dessiné le projet du futur RER V, pour réseau express régional vélo, soit 9 itinéraires cyclables de 680 kilomètres. Nous avons estimé qu’il nous revenait de prendre les choses en main, sans attendre que les élus, plutôt en retard et conservateurs sur la question, le fassent. Et nous avons eu raison : les élus nous ont suivis ; la Région a débloqué 300 millions d’euros pour que ce RER V voit le jour d’ici à 2030. Cinq premiers axes devraient être réalisés en 2025. On pourra alors pédaler de Cergy jusqu’au centre de Paris en utilisant une seule piste cyclable. Ou rallier Paris aux pôles d’emplois conséquents comme Eurodisney ou l’aéroport Roissy.
- La crise du Covid a-t-elle joué un rôle déterminant dans ce changement que vous décrivez ?
Evidemment ! La pandémie nous a tous obligés à remettre en question nos modes de transports. Le tout voiture n’est pas une solution d’avenir en ville, c’est un point sur lequel tout le monde s’accorde au vu des embouteillages constatés depuis longtemps et de la crise pétrolière qui va perdurer. Face à l’injonction de distanciation physique générée par le Covid, c’est le vélo qui a émergé comme une alternative aux transports en commun. Grâce à ces pistes d’urgence mises en place en Île-de-France et dans de nombreuses villes françaises, les gens se sont mis à pédaler pour se rendre au travail. De nombreux citoyens ont même investi dans un vélo à assistance électrique, et ne reviendront pas en arrière.
Et puis nous avons devant nous un nouveau défi : dans 2 ans, la France accueillera les premiers Jeux olympiques sans voitures. L’objectif affiché est que tous les spectateurs se rendent sur les sites (où aucun parking automobile n’est prévu) en transports en commun, à vélo ou à pied. Actuellement, le plan mobilité pour les Jeux est basé quasi-exclusivement sur les transports en commun, une solution trop fragile pour transporter 600.000 personnes supplémentaires par jour. Le vélo va devoir considérablement monter en puissance pour assurer la mobilité des Jeux, mais les élus ne semblent pas prêts à ce changement culturel, à savoir choisir le vélo comme une solution de transport de masse lors d’événements de grande envergure. Cette hésitation malheureuse risque de priver la France d’un héritage unique et durable des Jeux : des voies olympiques cyclables qui resteront, tout comme les coronapistes après le confinement.
- Les détracteurs du vélo sont cependant encore nombreux à faire entendre leurs voix, notamment sur les réseaux sociaux, où les joutes verbales entre cyclistes et automobilistes tournent au pugilat… Entendez-vous l’argument de la ruralité, qui rendrait impossible de se passer de la voiture au profit du vélo ?
Sur les réseaux sociaux, tout est démultiplié et j’ai moi-même de nombreux détracteurs quand je poste des informations sur la pratique cycliste. Certains croient encore que le vélo ne doit servir que pour la balade du dimanche. Tout comme d’autres pensent qu’en vivant à la campagne, on a impérativement besoin de façon quotidienne de sa voiture car chaque déplacement nécessiterait de faire au moins 30 km. La réalité statistique est tout autre : que nous vivions à la campagne, dans le périurbain ou en ville, nous faisons tous la même proportion de déplacements courts, voire très courts, de l’ordre d’1 ou 2 km. Le vélo est donc une solution alternative, ou de complément, valable où que l’on vive.
En zone urbaine, la densification qui s’amorce rendra impossible la poursuite de la croissance de la voiture : l’espace est un bien trop précieux pour le perdre dans le stationnement automobile. Dans l’avenir, la voiture ne sera plus le moyen de déplacement dominant. C’est un fait inéluctable. Tout concorde à faire du vélo un mode de transport massif et à part entière en ville. Les signes sont là. A Paris, il y a déjà des rues où il y a plus de vélos que de voitures. Le prix du pétrole achèvera la mue que l’on observe… La jeunesse va aussi faire bouger les choses car pour elle, trop de temps a déjà été perdu en paroles vaines. Elle veut agir. Et agir, pour la jeunesse, c’est prendre son vélo.
- Dans votre essai, vous révélez une chose que beaucoup de gens ignorent : les Pays-Bas n’ont pas toujours été la patrie du vélo. Dans les années 70, la voiture était reine dans votre pays natal.
Il y a un grand malentendu sur les Pays-Bas : les Français croient que les Hollandais font du vélo depuis toujours ; qu’ils ont des pistes cyclables car « c’est leur culture ». Or, pas du tout. C’est parce que les Hollandais ont décidé de créer un véritable réseau de pistes cyclables dédiées, qu’une culture du vélo a pu émerger et qu’ils font désormais massivement du vélo… Figurez-vous que dans les années 70, les Pays-Bas étaient un pays d’automobilistes convaincus. La montée de l’automobile avait quasiment fait disparaître le vélo du paysage, comme en France. Mais en 1971, la mort de Sophie, 6 ans, a tout changé. Le père de cette fillette tuée par un chauffard était un journaliste très connu. Il a écrit un article intitulé « Stop au meurtre des enfants ». Des milliers de gens sont alors descendus dans la rue pour dénoncer l’insécurité routière et réclamer au président du parlement néerlandais plus d’aires de jeux, plus de pistes cyclables, la fin du trafic de transit dans les quartiers… Mais cela n’a pas suffi. Il a fallu, comme souvent dans l’histoire, une crise. C’est le choc pétrolier de 1973 qui a permis de mettre véritablement les voitures à l’arrêt et de découvrir que tout cet espace urbain pourrait service à autre chose que la voiture uniquement.
Pour affirmer son indépendance énergétique face à cette crise, la France a fait deux choix : construire des centrales nucléaires et investir dans le diesel – préservant ainsi la place de la voiture. Les Pays-Bas, eux, ont procédé tout à fait différemment : ils ont choisi de développer le réseau cyclable pour baisser leur dépendance au pétrole et solutionner, par la même occasion, le problème de la qualité de vie en ville. Des investissements majeurs ont été faits en faveur du vélo avec, notamment, le plan vélo de 1974. Il s’est alors passé ce qui, je crois, est en train d’arriver à Paris : les gens ont essayé le vélo et ils l’ont définitivement adopté en constatant qu’il était pratique, bon pour la santé, bon pour le climat, bon pour le commerce…
Comment les Néerlandais ont-ils construit leur réseau cyclable ?
- Pouvez-vous nous parler du bonheur de rouler à vélo ? Vous en parlez beaucoup et très bien dans votre livre…
C’est d’ailleurs la première phrase de mon livre : « Les cyclistes vous donneront une dizaine de raisons pour lesquelles ils font du vélo. Mais derrière chaque raison se cachent le plaisir et la liberté ». Quand on explique à quelqu’un pourquoi on fait du vélo, on cherche à le convaincre sur des aspects pratiques, parce qu’ils sont indéniables. Et on oublie d’évoquer le plaisir que procure le vélo. Cet objet permet de reprendre littéralement le contrôle de sa vie : on n’est plus dépendant de personne, plus dépendant d’une machine. On sait désormais à la minute près à quelle heure on va arriver à destination. Je suis intimement persuadé que la souffrance moderne est causée par les retards que l’on subit, le temps que l’on perd dans les embouteillages qui ne sont pas un moment plaisant. En Île de France, 60% des trajets en voiture effectués sont inférieurs à 5 km, soit 20 minutes à vélo. Vous voyez quel potentiel de liberté inexploitée il reste à découvrir !
De plus, quand on fait un peu d’exercice physique, les endorphines se libèrent pour procurer une sensation de bonheur. C’est comme une morphine naturelle. Chaque personne qui se met au vélo accède à une liberté et à un plaisir qui n’ont pas de prix. Faisons connaître ce bonheur à nos enfants ! Les enfants transportés en voiture toute leur vie sont traités comme de petits légumes. Sur un vélo, un enfant découvre qu’il est autonome et capable de prendre des décisions. Les Néerlandais sont souvent entreprenants. Pour moi, les deux faits sont liés. Peut-être y aurait-il plus d’entrepreneurs en France si on y faisait du vélo dès l’enfance ? »
NDLR : cette interview a été réalisée avant l’annonce gouvernementale du 20 septembre 2022 consistant à affecter 250 millions d’euros au vélo en 2023. Une somme qualifiée d’historique par le président de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) dans une interview au Parisien : « l’Etat n’aura jamais mis autant d’argent sur une seule année pour aider au développement du vélo ».