Ceux qui reviennent

Sociologie urbaine
Jeudi 13 février 2025

Pauline Rochart, autrice.




Tout plaquer pour partir vivre à Marseille, Bordeaux ou dans la Drôme provençale. Ce choix de vie prisé des trentenaires parisiens fait les beaux jours des reportages télévisés. Pauline Rochart, consultante spécialisée dans les mutations du travail, a choisi de s’attarder sur des trajectoires médiatiquement plus discrètes et néanmoins marquantes : le retour de jeunes actifs dans leurs territoires d’origine, faits de villes moyennes ou de zones rurales. Dans « Ceux qui reviennent », Pauline Rochart a interrogé une trentaine de personnes ayant, comme elle, fait le choix de revenir vivre dans le berceau de leur enfance. Rencontre avec l’autrice.

Pauline Rochart a grandi dans la campagne flamande, à quelques encablures de Dunkerque. Après de brillantes études à Lille (prépa B/L puis EDHEC), la jeune femme « suit le mouvement sans trop se poser de questions » et s’installe dans la capitale pour douze années d’une vie professionnelle riche et trépidante. Comme beaucoup de trentenaires ayant fondé une famille, les aspects négatifs de la vie parisienne – les loyers onéreux, le rythme effréné et la tenace sensation d’étouffer – prennent peu à peu le pas sur les points positifs – l'animation, l'offre culturelle foisonnante etc.

Ce que ces retours disent de notre époque

A l’été 2022, mari ultra-motivé et enfants sous le bras, Pauline Rochart emménage à Dunkerque. « C’était chouette de retrouver la mer, de jouer sur la plage avec les enfants... Et puis novembre est arrivé (Rires). Pour ceux qui ne connaissent pas la ville, il faut savoir que Dunkerque vit très différemment selon les saisons. Cet hiver-là, j’ai ressenti le profond fossé me séparant de mon ancienne vie parisienne. J’étais en manque de lieux de sociabilité à l’extérieur, d’espaces publics ou de bars abrités que j’aurais pu fréquenter en famille. Je rencontrais peu de gens de mon âge ; hormis à la sortie de l’école, où se cachaient les trentenaires ? Je me suis questionnée : avais-je fait le bon choix en revenant ? »

Pauline Rochart ressent alors le besoin de parler avec d’autres personnes vivant la même expérience qu’elle. Au fil des entretiens, elle constate des traits communs dans leurs récits. L’idée d’un livre germe : « Je me suis dit que ce retour aux sources disait quelque-chose de notre époque. J’ai eu envie de creuser le sujet. Et ça me tenait à cœur d’interroger aussi ceux qui étaient restés : comment ces derniers perçoivent-ils le retour de Ceux qui reviennent ? ».

En province, un autre rapport au travail

Dans Ceux qui reviennent, Pauline Rochart a interrogé une trentaine d’ex-Parisiens revenus à Caen, Limoges ou encore Avallon. Tous lui ont fait part de leur aspiration à un ailleurs où s’épanouir en famille et où travailler différemment (moins ou mieux). Elle-même décrit ainsi son ressenti personnel : « Tout me paraissait plus simple (en revenant à Dunkerque) : l’école de ma fille était au bout de la rue, nous avions trouvé une place en crèche pour notre bébé en une semaine, je rejoignais le centre-ville en dix minutes à vélo et ma mère pouvait prendre le relais si l’une de mes filles était malade ».

En contrepoint à ce quotidien facilité, l’autrice relève les intenses questionnements intérieurs liés à ces retours au bercail : « Là où nos parents cherchaient avant tout la stabilité et la sécurité financière, notre génération est habitée par une quête de sens qui modifie en profondeur notre rapport au travail ». Le choix du retour s’accompagne parfois du sentiment d’un certain renoncement à l’idée d’une carrière ascensionnelle. Il est aussi l’occasion de confronter sa vision du monde avec celle de ses parents. Les plus circonspects étant, de l’observation de Pauline Rochart, issus de milieux modestes : voir leurs enfants se réinstaller dans un bassin d’emploi peu dynamique réactive la peur du déclassement. Les parents de catégories socio-professionnelles supérieures savent davantage qu’un bon diplôme offre les capacités de retomber sur ses pattes.

« J’ai dû montrer patte blanche »

Dans les faits, l’insertion sur le marché de l’emploi local de Ceux qui reviennent ne se fait pas toujours sans difficulté. Et l’autrice de s’interroger sur la façon dont ces "revenants" sont perçus par les employeurs locaux. Sont-ils courtisés ou au contraire, leur demande-t-on de faire leurs preuves ?

Un peu des deux, sans doute. Dans l’esprit des gens, la capitale charrie des fantasmes à la fois négatifs et positifs : pour certains, une expérience parisienne est un plus, on pense que celui ou celle qui est passé par Paris apportera du souffle ou une certaine forme d’innovation ; d’autres craignent que le Parisien de retour au pays se mette à  vouloir « expliquer la vie aux autres ». Le témoignage de Karine, revenue à Poitiers, relate cet accueil en demi-teinte : « Au début, on a projeté sur moi tout un tas de fantasmes négatifs… J’ai pris un poste de gestion dans une administration où j’ai été étiquetée cost-killeuse. J’ai donc fait profil bas, j’ai beaucoup observé et finalement, cela s’est bien passé. Mais j’ai senti qu’il fallait que je montre patte blanche ».

Se réaliser en dehors du travail

Les transfuges parisiens font aussi part à l’autrice des différences constatées dans la façon de travailler : le présentéisme (à savoir, le nombre excessif d’heures passés au bureau) est moins valorisé, on rentre déjeuner chez soi le midi… Il n’y a pas la même plus-value à se déclarer perpétuellement "débordé". En province, on n’est pas défini uniquement par son travail car il existe d’autres moyens de se réaliser. « Je le remarque à Dunkerque : les gens s’investissent dans d’autres sphères sociales que le travail : la famille, la vie associative ou sportive, les traditions locales. »

Pauline Rochart s’attarde sur l’expérience de Charles, jeune trentenaire revenu à Dunkerque après avoir fait ses classes de cuisinier dans quelques grandes maisons parisiennes. « C’est certain, je n’aurai jamais eu ce poste (de chef cuisinier d’un hôtel quatre-étoiles sur le front de mer, ndlr), si je n’étais pas passé par Paris », explique le jeune homme qui a « toujours su qu’il reviendrait un jour dans sa ville » et peut s’enorgueillir d’un véritable pedigree dunkerquois. A Dunkerque comme ailleurs, « le milieu de la restauration est connu pour être un "petit milieu" où le réseau est déterminant pour réussir ». Être un local a également constitué une prime à l’embauche pour Peio, revenu s’installer à Bayonne et qui a trouvé un travail notamment grâce au réseau amical de son père. « Ce qu’on appelle "le capital d’autochtonie" en sociologie, joue à plein tubes dans les petites villes : les locaux peuvent s’appuyer sur tout un tas de ressources pour faciliter leurs (ré)intégration », précise l’autrice.

Des politiques publiques ciblées

« Tous les territoires ne bénéficient évidemment pas d’une hype naturelle », note Pauline Rochart, quelque peu dubitative face aux campagnes d’affichage dans les couloirs du métro financées par les départements du Cher, de la Sarthe ou du Gard dans le but d’attirer de jeunes Parisiens. « Je ne pense pas qu’elles soient très efficaces. Personne ne s’installe dans un coin reculé ou une région désindustrialisée sans y avoir aucune espèce d’attache sociale. Les territoires moins attractifs auraient un intérêt à s’adresser aux jeunes actifs, partis quelques années plus tôt, pour qu’ils reviennent mettre leurs compétences au service du développement local. Mais, au-delà de la question de "l’attractivité", il faut aussi penser "l’hospitalité" : à savoir, comment accueillir ? Et surtout, comment faire rester ? »

Ce n’est pas le propos du livre de Pauline Rochart mais à sa lecture, émerge l’idée concrète qu’investir plus massivement dans des politiques publiques spécifiquement tournées vers les jeunes habitants partis ailleurs aurait un réel impact. Ce type de politique publique (destiné à donner envie de revenir ou à donner les moyens de revenir) reste pourtant encore peu exploré. On note ici et là en France l’existence de bourses de retour (couvrant par exemple les frais de déménagement et de logement), de prêts à taux bonifiés et d’aides à la création d’entreprise, de financement d’études de jeunes gens brillants peu argentés en contrepartie d’un engagement moral au retour…

Reconversion ou télétravail

Les systèmes de parrainage mettant en relation les diplômés qui reviennent avec les professionnels du territoire constitueraient sans doute aussi un moyen de faciliter leur insertion sur le marché du travail. Car c’est souvent là que le bât blesse. Parmi les profils de ceux qui reviennent, peu correspondent en effet parfaitement aux emplois dont manquent cruellement les territoires en question. Dans les témoignages recueillis par Pauline Rochart, ils sont nombreux à avoir dû s’adapter au marché de l’emploi local, voire à s’être reconvertis. Un tiers garde – grâce au télétravail – un pied professionnel à Paris, qui fourmille, elle, d’emplois tertiaires et de niche. L’autrice se trouve elle-même dans cette situation, bon gré mal gré : « Tout serait plus simple si j’étais médecin ou dans l’industrie : ce sont les métiers le plus demandés ici. Je n’ai pas encore mes entrées dans les entreprises privées qui pourraient me confier des missions de conseil liées à l’organisation du travail… Mais j’y travaille ! »

Votre territoire est-il hospitalier ?

La mise en place de politiques publiques ciblées visant au retour d’habitants partis parait d’autant plus pertinente qu’elle s’accompagne d’actions en faveur d’une hospitalité accrue du territoire. Ceux qui reviennent ont certes gardé des attaches familiales et amicales, mais il leur incombe de construire une toute nouvelle vie et de se réadapter à un territoire parfois quitté depuis longtemps. Pourquoi ne pas organiser l’accueil de ceux qui reviennent par ceux qui sont restés ?

Faire une place à l'altérité

Un système de parrainage élargi à la vie sociale constituerait en outre une belle façon de faire une place à l’altérité. Dans le livre, l’autrice aborde ce sujet clé du vivre-ensemble : « Pour moi, revenir implique de se relier à des gens qui ne partagent pas forcément nos trajectoires, nos modes de vie, ou encore nos opinions politiques : et ça fait du bien ! Apprendre à vivre dans la dissonance, à s’écouter, à faire des choses ensemble, est un remède à la polarisation croissante de notre société ».

 


Ceux qui reviennent est le premier livre de Pauline Rochart. A mi-chemin entre enquête journalistique et recherche sociologique, l’ouvrage se lit d’une traite. Les quelques passages où l’autrice parle d’elle-même enrichissent le propos en lui conférant une dimension intime à laquelle il est difficile de ne pas s’identifier, même si l’on n’est pas soi-même revenu. Une réussite !

Save the date ! L’autrice sera l’invitée d’Urbis le Mag et des Apéros-rencontres de la Halle aux sucres, à Dunkerque, le 5 juin 2025 à 18h15. Renseignements et réservation à partir de mai. 

 

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.