Centres commerciaux : le fantasme du centre-ville ?
Pointés du doigt comme l’une des principales causes de la dévitalisation des villes moyennes, les centres commerciaux continuent à croître et se multiplier en France. Quelque 350 000 m² de centres commerciaux neufs ont été construits – ou sont en passe de l’être – sur une période de seulement 18 mois, entre juin 2016 et décembre 2017. Un chiffre d’autant plus important qu’il ne tient pas compte des restructurations, ni des extensions de centres existants ! Face à la stagnation des dépenses de consommation des Français, on peut se poser la question du pourquoi de cette frénésie de création de m² supplémentaires…
Face à un gâteau qui ne grossit plus, celui des dépenses des Français, les centres commerciaux sont les premiers menacés par l’achat sur internet. Pour rester attractifs, ils ont choisi leur stratégie : occuper le terrain, au sens physique du terme, et engager une mutation profonde de leur offre.
Leur méthode ? Dans le jargon des spécialistes, on l’appelle « retailtainment » (contraction de retail park et de entertainment) ou « fun shopping » : l’alliance du commerce et du loisirs. Aux Etats-Unis, cette tendance bat son plein depuis de nombreuses années. En France, elle a fait son apparition dans les années 2000, notamment en région parisienne. Ce modèle présente cependant un inconvénient majeur : il implique de se différencier sans cesse pour faire parler de soi et exister…
S'envoyer en l'air
Odysseum à Montpellier vient ainsi d’inaugurer le premier parc à trampolines de France. Ses 2 000 m² et ses 80 trampolines interconnectés permettant d’organiser des courses d’obstacles, des séances de fitness, des cours de basket aérien…
Ce centre commercial de 125 boutiques et restaurants s’était distingué lors de son ouverture en 2009 grâce à son espace ludique de 60 000 m² comprenant une patinoire, un planétarium, un aquarium et un cinéma multiplexe.
Dans le même ordre d'idée, Vill'up, qui a ouvert ses portes fin 2016 à Paris, propose d'expérimenter les sensations d'un saut en parachute.
S'acheter un pull et contempler une oeuvre d'art
Plus étonnant, certains centres commerciaux lorgnent sans vergogne sur ce qui fait l’essence-même d’un centre-ville : la culture, le plaisir de la flânerie, la convivialité…
Ainsi, Polygone Riviera, qui a ouvert fin 2015 à Cagnes-sur-Mer, offre, en plus de 150 boutiques, une « designer gallery » : une véritable galerie d’art contemporain où exposent une dizaine d’artistes connus et reconnus. Sur le site internet de Polygone Riviera, on nous invite à « déambuler sous une verrière kaléidoscopique » ou à nous « rafraichir auprès d’une fontaine arty… »
En plus d’animations, de spectacles de rue ou de concerts renouvelés chaque jour, les centres commerciaux nouvelle formule s'essayent à la convivialité, créant d’incongrus « espaces de détente » arborés et autres placettes bordées de terrasses de cafés.
Habiter un centre commercial
L’évolution ultime de ce concept de « retailtainment » trouve son illustration dans le centre City-Place (1) ouvert à West Palm Beach en Floride au début des années 2000.
Ce centre commercial offre, sur deux niveaux, une surface totale de vente de 56 000 m² pour un peu plus de 70 magasins dont un supermarché (2 200 m²) et un hypermarché (10 000 m²). Le centre accueille également un cinéma multiplex (20 salles), un centre de fitness, un bowling et une trentaine de bars et restaurants.
L’idée des concepteurs est de faire en sorte que rien n’indique que vous soyez dans un centre commercial. Et pourtant, cette ville avec ses rues, ses places et même son clocher est bien – et avant tout – un espace marchand dont les maisons, d’architecture d’inspiration pseudo toscane et vénitienne, abritent chacune une ou deux enseignes commerciales. Dans les étages, des logements ont été créés dans un but de rentabilisation. Quelque 1 300 personnes se sont laissées séduire par l’idée d’habiter un centre commercial…
(1) source Aucame.
Des temples de la consommation avant tout
Quoi qu’ils en disent et espèrent, les centres commerciaux ne sont pas vraiment (encore ?) devenus des lieux de flânerie : la plupart de leurs visiteurs savent où ils veulent aller et poursuivent un parcours pré-établi. Dans ce contexte, les centres commerciaux travaillent sur deux objectifs : augmenter le temps de présence de leurs visiteurs ; augmenter la fréquence des visites. Pourquoi ? Parce que ce sont les deux conditions qui favorisent les achats d’impulsion !
La vie digitale banale des centres commerciaux
Un tour sur différents sites internet de grands centres commerciaux suffit pour le comprendre : bien que les achats en ligne représentent la plus grande des menaces pour leurs chiffres d’affaires, les centres n’ont pas, pour le moment, trouvé de parade.
Leurs sites internet se ressemblent tous plus ou moins : liste des boutiques, catalogues à feuilleter pour préparer sa visite, incitation à adopter la carte de fidélité du centre, présentation des services VIP présents sur place (conseils de styliste, pressing…)
Sur FB et autres réseaux sociaux, même constat, on retrouve les sempiternels posts concernant des bons d’achats à gagner, des concours de selfie, des annonces de promotions ou d’ouverture exceptionnelle.
Et si les centres-villes avaient une belle carte à jouer en la matière ?