Gratuité du bus : l'expérience d'Aubagne

Le labo du bus gratuit
Lundi 07 septembre 2015

Le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux dresse le bilan de la gratuité du bus instaurée en 2009 à Aubagne.




Philosophe, Jean-Louis Sagot-Duvauroux est l’auteur de « Liberté égalité gratuité, une expérience sociale à Aubagne »*, le récit haut en couleurs d’une aventure politique et humaine, celle de la gratuité des transports publics instaurée dans l’agglomération d’Aubagne en 2009. Urbislemag l’a rencontré.


Quels constats ont poussé l’agglomération d’Aubagne à mettre en place la gratuité du bus ?

Il me parait important de réaffirmer, en préambule, que la gratuité est d’abord et avant tout une décision politique. Contrairement à la tarification sociale qui permet aux plus pauvres de bénéficier de tarifs très bas, la gratuité totale met à égalité les riches et les pauvres. Elle offre une liberté nouvelle et constitue une ébauche de réponse à la fameuse question : « Dans quelle société voulons-nous vivre ? ». Prenons l’exemple d’une famille de 4 personnes qui paye 60 euros de bus par mois : c’est une somme énorme quand on est au SMIC, pile le caddy manquant quand les fins de mois condamnent aux pâtes et aux patates ! Contrairement à la tarification sociale qui crée une société à deux vitesses – les « assistés » et ceux qui payent pour eux –, la gratuité, c’est le principe d’égalité, tout comme l’école gratuite, la sécurité sociale gratuite, les parcs publics gratuits. Qui oserait remettre cela en cause aujourd’hui ?

Certaines personnes affirment que ce qui est gratuit n’a plus de valeur et sera forcément détérioré. Qu’en pensez-vous ?

Quand, à la fin du 19e siècle, Jules Ferry a instauré l’école gratuite, personne n’a dit cela. Mais nous vivons aujourd’hui dans la peur de la gratuité, sous l’influence d’une société gouvernée par les relations marchandes. Or, sortir du principe de la consommation marchande n’est pas dangereux : ce n’est pas parce que la rue est gratuite que les gens font des trous dedans, ce n’est pas parce que les massifs fleuris sont gratuits que les gens cueillent leurs tulipes pour les ramener chez eux… Pour le bus, c’est pareil. Ce n’est pas parce qu’il est gratuit qu’il va être détérioré. L’expérience d’Aubagne prouve d’ailleurs le contraire ! Quand on utilise l’expression « ça n’a pas de prix », on fait référence à quelque chose de si précieux qu’il ne peut pas s’acheter : l’amour filial, par exemple, n’a pas de prix… Rendre le bus gratuit, c’est le rendre précieux pour tous et, ainsi, lui conférer énormément de valeur.

Quel effet a eu la gratuité sur la fréquentation des bus ?

Quarante jours après le top départ du 15 mai 2009, les +58% qu’on espérait atteindre en 24 mois étaient déjà dépassés. En un an, on a atteint les 100%, puis les 180 % ! Depuis l’augmentation continue : +17% en 2015. L’un des aspects intéressants de cette hausse de fréquentation, c’est aussi de baisser le coût du voyage pour la collectivité qui finance la gratuité : en 2008, un voyage coûtait 3,93 euros à la collectivité ; en 2011, 2,04 euros ! Plus il y a de gens dans les bus, plus l’efficacité de l’argent public investi augmente. C’est un argument qui peut parler à tous ceux qui disent que la gratuité coûte cher ou constitue un gaspillage d’argent public, non ?

Qui sont aujourd’hui les usagers du bus à Aubagne ?

Environ 20% des usagers du bus sont nouveaux : ils ne prenaient jamais le bus avant. Les autres utilisateurs ont surtout changé leur manière d’utiliser le bus : plus souvent et pour des raisons davantage liées au plaisir qu’à la nécessité, par exemple pour voir un ami ou faire du shopping, flâner en ville… cela a transformé la vie de beaucoup de gens qui n’étaient pas libres de se déplacer ! Ce qui me frappe le plus, c’est l’impact que la gratuité a eu sur les 16-25 ans qui ont eu l’impression que cette mesure s’adressait directement à eux, pour leur faciliter la vie. Des jeunes qui n’allaient jamais dans le centre-ville ont commencé à s’y rendre pour boire un verre, acheter une babiole dans une boutique…

Est-ce que l’ambiance a changé dans les bus ?

On est passé d’une ambiance de contrôle à une symbolique plus chaleureuse et amicale. Dans les bus, les rapports entre les gens se sont apaisés. Il n’y a plus de mauvais regard lancé au jeune qui fraude, plus de tension entre le chauffeur et ceux qui montent à l’arrière sans payer. Le climat s’est détendu entre les générations, entre les gens, qui se sont mis à plus se parler. Les chauffeurs, qui étaient plutôt opposés à la gratuité, ont vite changé d’avis. Leur métier s’est transformé. Il est devenu plus facile car uniquement axé sur la conduite et l’accueil des passagers. Au lieu de « c’est combien ? », on leur dit davantage « bonjour ». La fin de la billettique marque aussi la fin de la peur de l’agression. Quant aux incivilités, elles n’ont pas augmenté, comme à Châteauroux qui a instauré le bus gratuit en 2001 d’ailleurs. Je suis sûr qu’aucun chauffeur de bus ne voudrait revenir au bus payant aujourd’hui…

*Un livre cosigné avec Magali Giovannangeli, présidente de la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Etoile jusqu’en 2014.

 

http://www.humanite.fr/aubagne-la-petite-revolution-des-bus-gratuits

http://www.francetvinfo.fr/aubagne-gratuite-permanente-des-transports-en-commun-une-mesure-positive_555345.html

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.

Mots clés : bus  gratuité  Aubagne  Sagot-Duvauroux