Egalité des chances à la crèche

Sociologie urbaine
Lundi 05 septembre 2016




Et si la crèche était l’avenir de la lutte contre l’exclusion ? C’est l’intime conviction de Bertrand Baelen, le fondateur de « La crèche dans la ville ». L’entreprise sociale qu’il a créée il y a deux ans compte deux réalisations concrètes à son actif : une crèche à Dunkerque et une autre à Lesquin, dans la banlieue lilloise. Interview.


-        « Vous avez longtemps travaillé pour une grande enseigne sportive du nord. Pourquoi lui avoir finalement préféré le monde de la petite enfance ?

-        Ce monde ne m’était déjà pas tout à fait inconnu : j’avais été le trésorier d’une association gérant trois crèches durant 7 ans. J’avais aussi proposé à mon ancien employeur de monter un projet, qui n’a finalement pas abouti.

J’ai créé « La crèche dans la ville » http://www.lacrechedanslaville.fr/ pour deux raisons majeures : la première, c’est de participer à la lutte contre l’exclusion sociale en permettant à des enfants de familles défavorisées d’avoir les mêmes chances à l’école après être passés dans nos établissements. La seconde c’est de favoriser le travail des femmes qui sont souvent obligées de prendre un congé parental faute de mode de garde : 61% des femmes en France sont dans ce cas.

-        Comment une crèche peut-elle lutter contre l’exclusion sociale ?

-        En favorisant une véritable mixité sociale parmi les enfants accueillis. Une crèche classique attribue difficilement une place à un enfant dont la mère est au chômage. Je pense que c’est exactement l’inverse qu’il faut faire ! Cette mère doit avoir le temps de chercher un emploi, d’engager une formation… Chacune de mes crèches offre une large palette de tarifs en fonction de la situation des parents (notamment dans mes micro crèches, inaccessibles pour ces familles). Une mère seule et sans emploi payera par exemple 85 euros par mois dans mes micro crèche ; tandis qu’un couple aisé s’acquittera de 900 euros pour le même service. Pour moi, l’idéal, dans une crèche classique, serait d’accueillir 50% d’enfants de milieu défavorisé. Mon but n’est pas de faire de l’argent mais de donner accès à tous à un projet pédagogique ambitieux tout en gardant évidemment une gestion saine qui assure la pérennité de la structure.


-        Comment les couples aisés dont vous parlez acceptent-ils de payer plus qu’ailleurs ?

-        Nous proposons des services à haute valeur ajoutée qui les séduisent : une pédagogie inspirée de ce qui se fait de mieux en Europe et au Canada, des cours d’anglais, des repas bio, l’utilisation de couches lavables, l’interdiction des produits chimiques et des appareils émettant des ondes tels que les smartphones, le Wifi ou les micro ondes. J’accorde aussi une grande importance aux recrutements : j’invite les auxiliaires petite-enfance à se former, à réfléchir constamment à leurs pratiques… Ces professionnelles sont conscientes de l’importance de leur travail auprès des enfants. Et aussi de leurs parents : nos crèches leur sont largement ouvertes pour discuter, les accompagner, les conseiller… C’est une chance : on trouve beaucoup de gens passionnés dans les métiers de la petite enfance. Je fais en sorte d’entretenir cette flamme. Je répète souvent à mes employés qu’ils jouent un rôle primordial dans la construction de la société.

-        Pourquoi dites-vous que c’est entre 0 et trois ans qu’on peut le mieux favoriser l’égalité des chances entre les enfants ?

Parce que c’est le moment où le cerveau se construit, tout simplement. C’est donc le moment où les enfants vont être les plus réceptifs. Nous leur permettons, à travers le jeu, de développer leur confiance en eux, leur volonté, leur envie d’entreprendre en les accompagnant dans leurs petites réussites. Donnons-leur confiance en eux, en leurs capacités. Ils en garderont une trace, quoi qu’il advienne après.


-        Vous collaborez avec les municipalités pour monter vos projets. Quel intérêt les villes y trouvent-elles ?

-        Plus une ville compte de crèches, plus elle sera attractive pour les familles et les jeunes couples qui privilégient massivement ce mode de garde. Un élu qui a une vision d’avenir pour son territoire comprend immédiatement l’intérêt d’ouvrir des crèches. A court terme, par la création d’emploi et le retour à l’emploi des parents ; à moyen terme, par la réussite scolaire des enfants ; à long terme, avec des jeunes mieux formés et insérés dans la société.

-        C’est un projet politique ?

Oui, sans aucun doute. »

 

La fondation Terra Nova a rendu public un rapport intitulé "La lutte contre les inégalités commence dans les crèches" en janvier 2014. Il propose une nouvelle vision de la petite enfance : les crèches ne doivent plus être conçues seulement comme un mode de garde au service des parents, mais avant tout comme des lieux d'éducation au service du développement des enfants, notamment les plus défavorisés.

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.